La récente vague de suicides à France Télécom a mis en lumière de manière dramatique les conséquences d’un phénomène longtemps minimisé en France, si ce n’est ignoré: le stress au travail.
Selon plusieurs experts, la France accuse un train de retard dans la prise de conscience, et a fortiori dans les réponses à apporter à cette tendance modélisée sous l’appellation de « risques psychosociaux » en entreprises. Pour Dominique Huez, médecin du travail et auteur de « Souffrir au travail, comprendre pour agir », il y a toujours en France « une vraie difficulté à accepter que l’organisation du travail puisse générer des effets délétères pour la santé ».
« Plutôt que de réfléchir à ce qu’il faudrait changer dans les organisations du travail, les responsables d’entreprises cherchent des réponses du côté sanitaire en jouant au ‘Docteur Mabuse’ avec la mise en place de cellules de suivi psychologique ou de numéros verts », regrette-t-il. Selon un récent sondage LH2 pour L’Express, 44% des Français disent éprouver un « stress important » ou « très important » dans leur activité professionnelle. Surcharge de travail, peur de « ne pas y arriver », manque de reconnaissance, évaluations individualisées, mise en concurrence des salariés, les causes avancées par les experts sont multiples. Au-delà des difficultés humaines, les conséquences économiques du stress – arrêts de travail, absentéisme, perte de productivité – se chiffrent en millions d’euros. Selon une étude de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), le coût direct et indirect du stress s’évalue entre 830 et 1.656 millions d’euros par an, soit 10 à 20 % du budget de la branche maladies professionnelles de la Sécurité sociale.
Face à ce constat, le ministre du Travail, Xavier Darcos, a présenté vendredi dernier un plan d’urgence préconisant l’ouverture de négociations sur la prévention du stress dans les 2.500 entreprises françaises de plus de 1.000 salariés. Cette mesure vise en réalité à accélérer l’application d’un accord interprofessionnel sur la question conclu en novembre 2008, qui transpose lui-même des orientations européennes. A titre comparatif, le Danemark, pays pionnier en la matière comme nombre de ses homologues scandinaves, a étendu depuis 1975 sa législation sur la sécurité et la santé au travail à la problématique du stress en entreprises. Pour Matthieu Poirot, psychologue spécialiste du stress professionnel, le gouvernement s’empare aujourd’hui de cette question par principe de précaution: « Dès que la société dit ‘aïe, aïe, aïe, attention danger pour la santé’, il y a une réaction politique nécessaire. ». Dominique Huez reconnaît que « le patronat français et le gouvernement sont doucement en train de sortir de leur logique de ‘médicaliser pour ne pas penser‘ ». Mais, prévient-il, « l’émergence de la visibilité des suicides (chez France Télécom) ne représente que la petite pointe de l’iceberg. Il y a beaucoup d’autres situations tout aussi dramatiques mais moins médiatisées ».