Tout bio, tout beau ?

Le “bio”, est en fait “la bio”, car ce terme fait officiellement référence à “l’agriculture biologique”, c’est-à-dire à un mode de production et de transformation de produits alimentaires “respectueux de l’environnement, des cycles naturels et du bien-être animal”. Ce label, encadré au niveau européen, implique tous les maillons de la chaîne : les producteurs, les transporteurs, les transformateurs et les distributeurs. Le contrôle des acteurs de la filière est effectué annuellement par des organismes certificateurs indépendants placés sous le contrôle de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité). C’est, de très loin, la filière de qualité la plus contrôlée actuellement en France (AOC, IGP, Label Rouge…).

Le cahier des charges bio se caractérise par des interdictions très contraignantes. La première est l’interdiction de l’utilisation d’engrais chimiques de synthèse. Ne pouvant plus nourrir directement les plantes en épandant des sels minéraux, le producteur bio doit nourrir l’écosystème du sol par l’apport régulier de matières organiques issues de composts, de fumiers ou de cultures spécialement dédiées à cette fin. C’est la “digestion” de cette matière organique par la microfaune du sol qui produit alors les sels minéraux dont les plantes ont besoin pour leur croissance. La deuxième interdiction porte sur les pesticides chimiques de synthèse. Ne pouvant traiter efficacement son champ a posteriori, en cas de maladie donc, le producteur bio doit faire de la prévention en mettant en place des stratégies limitant les risques de maladies : choix de variétés rustiques, allongement et diversification des rotations de ses cultures ainsi que lutte biologique. En dernier recours, il est autorisé à utiliser des pesticides d’origine naturelle de bien moindre efficacité. Enfin, le cahier des charges bio fixe des normes de bien-être en ce qui concerne l’élevage. Ces normes définissent entre autre un espace minimum dans les bâtiments, obligent de laisser aux animaux un accès permanent à l’extérieur et de leur donner une alimentation 100 % bio adaptée à leur régime alimentaire et produite localement à au moins 60%.

Ce type d’agriculture, qui a émergé en Europe dans les années 20, est longtemps resté un mouvement marginal et très réactionnaire. Tout change dans les années 80, quand certaines incidences de l’agriculture intensive commencent à être décriées : pollution croissante des ressources en eaux et érosion des sols, appauvrissement des écosystèmes, diminution de la biodiversité et dégradation des paysages, simplification et agrandissement des fermes qui deviennent des exploitations spécialisées, standardisation des productions agricoles… L’agriculture biologique, par son cahier des charges radical, s’impose progressivement comme une alternative lisible pour le consommateur et permettant de limiter en partie ces phénomènes. Elle s’institutionnalise en France en 1985 avec la création de la marque AB par le Ministère de l’Agriculture.

Aujourd’hui, presque tous les pays industrialisés ont engagé des politiques de développement en faveur de cette filière, principalement pour des raisons environnementales. Restée longtemps un marché de niche, l’AB a aujourd’hui le vent en poupe. Porté par une presse favorable et une adhésion grandissante de l’opinion public elle jouit d’une forte croissance à au niveau mondial, comme en France où le marché est aujourd’hui estimé à 8,3 milliards d’euros.

Mais ce développement exponentiel soulève aussi légitimement des interrogations. Du fait de sa moindre productivité, et dans un contexte de forte croissance démographique mondiale, elle pourrait contribuer à augmenter la pression exercée sur les terres agricoles et encourager ainsi la déforestation. Dépendante de l’élevage pour sa fertilisation elle est décrié par les mouvements végans et antispécistes. Certains pesticides d’origine naturelle utilisés en bio ne sont pas sans-conséquence sur l’environnement, ni sur la santé, et pourraient devenir, à terme, un problème. Le niveau des prix plus élevé que pour l’agriculture conventionnelle et la demande nettement plus forte que l’offre génèrent de la méfiance chez beaucoup de concitoyens et peuvent donner lieu à de la triche. Son bilan carbone, quoi que très incertain à établir, ne semble pas toujours performant comparé au conventionnel, notamment pour les produits d’importation. L’établissement européen des règles de production complique l’harmonisation des filières entre pays membre, aux situations pédoclimatiques très différentes, et abouti bien souvent à un nivellement par le bas et à des dérogations en tout genre. Pour finir, les débats demeurent vifs dans le monde scientifique, en ce qui concerne les incidences en matière de santé / nutrition des produits bio.

Malgré ces questionnements, le bilan de la bio reste globalement très positif du point de vue environnemental. De plus, elle représente aujourd’hui un secteur très innovant du point de vue scientifique et agronomique et joue un rôle moteur dans la diffusion de techniques agricoles plus économes en intrants et plus respectueuses de l’environnement, techniques dont profitent également les agriculteurs conventionnels. Dans les milieux universitaires, la bio apparaît de plus en plus comme un exemple concret de prise en charge par le marché d’externalités environnementales, de valeurs philosophiques et de biens non-marchants, et génère de nouveau rapports entre producteurs et consommateurs. Cette filière, qui n’est évidemment pas parfaite, représente une voie originale et innovante qui semble, malgré les nombreuses résistances, s’être installée durablement dans le paysage agricole français.



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