La hiérarchisation de la société en groupes appelés “castes” fait partie des éléments que l’on associe presque immédiatement à l’Inde. Cette organisation semble conforter l’idée d’une société très différente de nos sociétés occidentales, où la religion continue de jouer un rôle important. Les difficiles conditions de vie des “intouchables”, encore appelés “parias”, sont également bien connues. Ce dernier terme, qui dérive du nom d’une caste de joueurs de tambour d’Inde du Sud (Paraiyar), est passé dans le langage courant pour désigner, en dehors de toute référence au contexte indien, une personne méprisée et mise au ban de la collectivité.

L’Inde nourrit de nombreux clichés. Parmi eux, la caste est probablement l’un des plus tenaces. Elle a fait naître et continue à faire naître beaucoup de confusions et d’idées reçues. Qu’entend-on exactement par “caste” ? Quelles réalités sociales cette notion recouvre-t-elle et quelles en sont les manifestations dans la société indienne contemporaine ?

Si la caste est une institution millénaire, le terme de caste est récent. Il viendrait du portugais casta, qui sert à désigner “ce qui est non mélangé”. La caste recouvre en fait deux notions distinctes : les varna et les jati. Le système des varna, qui renvoie à une division quadripartite de la société (Brahmanes, Kshatriyas, Vaishyas et Shudras), est une répartition avant tout théorique, dont ne font pas partie ceux que l’on appelle les intouchables. Ce sont les jati, communautés professionnelles auxquelles on appartient par la naissance, qui correspondent à la réalité des castes. Certains groupes comptent plusieurs millions de membres, d’autres n’existent qu’à une échelle locale. Au total, la société indienne est composée de plusieurs milliers de groupes et de sous-groupes. Cette organisation correspond à une division sociale du travail, les castes entretenant entre elles des liens d’interdépendance. Il existe des jati d’intouchables, qui prennent en charge les fonctions considérées comme les plus dégradantes, tels le tannage, la cordonnerie ou le nettoyage des souillures corporelles.

L’organisation des castes repose sur des principes de spécialisation socioéconomique et de transmission héréditaire. Elle promeut l’endogamie, ainsi que des règles spécifiques en matière de contact et d’échange entre membres de castes différentes. Le principe de spécialisation professionnelle a perdu de son importance dans l’Inde contemporaine : l’adéquation entre caste et profession n’est plus systématiquement de mise. Les mobilités professionnelles sont possibles. Des personnes issues de basses castes peuvent même accéder à de hautes responsabilités, à l’image de l’actuel premier ministre, Narendra Modi, qui a exploité ses origines modestes de fils de vendeur de thé dans sa campagne de promotion politique. Le sentiment de différence et les formes d’exclusion qui en découlent demeurent toutefois très marqués.

Le terme “intouchable” n’est guère plus utilisé. On parle de “castes répertoriées” (scheduled castes), expression créée par les Britanniques en 1935. Le mot “dalit” (opprimé, broyé) est également couramment utilisé. Forgé dans un esprit de revendication, il est très éloigné du terme “harijan” (peuple de Dieu) popularisé par Gandhi. La variété de ces appellations est révélatrice des débats publics sur la caste et des transformations contemporaines de celle-ci.

La Constitution de l’Union indienne interdit l’intouchabilité et les discriminations fondées sur la caste. Mais l’Inde indépendante n’a pas aboli le système des castes. Un système de discrimination positive a été instauré afin de compenser les inégalités liées à la caste. Des quotas dans l’administration, l’enseignement supérieur et les assemblées ont été mis en place pour les intouchables et d’autres communautés défavorisées, les populations tribales, avant d’être étendus aux basses castes. C’est aujourd’hui une partie importante de la population indienne qui peut prétendre en bénéficier.

Ce système a permis la formation d’une élite dalit. Il a plus largement favorisé l’intégration des intouchables et des basses castes dans le jeu politique, participant d’un phénomène de démocratisation par la caste. Les dalits n’en demeurent pas moins socialement marginalisés et victimes de violences. De leur côté, les membres des castes ne bénéficiant pas de quotas manifestent leur mécontentement et se mobilisent. Les quotas ont ainsi paradoxalement contribué à renforcer les identités de caste.

Loin d’avoir disparu, les castes se sont transformées sous l’effet de la discrimination positive. À l’encontre de l’image d’une institution archaïque, peu compatible avec la démocratie et la modernité, la caste apparaît comme une institution vivante et dynamique, capable de s’adapter aux transformations du monde contemporain.



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