Il y a 581 parutions à l’occasion de cette rentrée littéraire. Une rentrée plus riche donc que la précédente (560). C’est le domaine français qui concentre l’augmentation de la production (390 contre 363). Les premiers romans, en particulier, ont le vent en poupe avec 81 romans contre 66 l’an passé. Des noms vous sont familiers, voire trop familiers. D’autres méritent que vous feuilletiez ou achetiez et lisiez. Vous ne pourrez tout lire, alors retenez quelques titres et surtout ce que les pages renferment. Voici quelques propositions. Ce sont les coups de cœur de notre critique littéraire, Norbert Czarny. Il les attribue début septembre pour animer cette conférence qu’il donne et redonne chaque année chez nombre de nos clients.
Les coups de cœur
Taba-Taba (Patrick Deville, Le Seuil). De 1860 à nos jours, l’auteur narrateur raconte la France telle que sa famille l’a connue, traversée, habitée. Ce, en fouillant dans la malle que sa tante Monne a laissée. Mais comme toujours dans les romans de P. Deville, le monde qui change apparaît et l’Histoire devient tourbillon, tourmente ou cataclysme. Le Temps évoqué est celui des inventions, des découvertes et des créations, avec, en passagers clandestins, Cendrars, Malraux, Proust et quelques poètes. L’élégance de l’écriture fait le reste.
Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières (Barney Norris, Le Seuil). Dans la petite ville de Salisbury, un accident de la circulation provoque la rencontre entre cinq êtres, cinq vies. Rita, qui a fait la vie, Sam, un garçon timide dont le père va mourir d’un cancer, George, un vieil homme qui vient de perdre son épouse après quarante ans de bonheur commun, Alison, une femme de soldat qui souffre de sa solitude. Et puis Liam, qui observe et raconte, et fait le lien. Rien d’extraordinaire : la seule puissance de la parole banale et bouleversante.
Trois jours avec ma tante (Yves Ravey, Editions de Minuit). Une enveloppe kraft, une encre violette, un chèque sans ordre : voici les trois objets autour desquels se construit un suspens. Et celui qui attend, outre le lecteur, c’est Marcello Martini, qui a fui la France quittant Lydie, enceinte de Rebecca qui est peut-être sa fille. Il a aussi quitté sa très riche tante Vicky Novak qui l’hébergeait et qui l’a aidé à fuir. Le retour est délicat. C’est tendu, serré, sans adjectif inutile, sans l’expression du moindre sentiment. Mais on ne lâche pas.
Un loup pour l’homme (Brigitte Giraud, Flammarion). Antoine vient d’être appelé à servir en Algérie. Il doit quitter Lila, sa jeune épouse, enceinte. Elle supporte mal de vivre sans “son mari confisqué”. Antoine ne veut pas combattre. Il sera infirmier. Les mois passent, il remplit des missions, découvre la réalité de cette entreprise de “pacification” qui mutile et détruit et qu’on appelle une guerre, même si le gouvernement de l’époque préfère l’euphémisme “d’événements d’Algérie”.
L’empereur à pied (Charif Majdalani, Le Seuil). Un inconnu arrive dans un lieu aride et le transforme en jardin. Sa descendance, comme lui, transforme tout ce qu’elle touche en or. Mais une loi impitoyable s’impose à chaque génération : seul un des enfants se mariera et aura des enfants. Les autres devront se soumettre ou renoncer à tout héritage. C’est ainsi que les fils Jbeili découvrent le monde, du début du XXème siècle à sa fin, du Mexique à la Chine, en passant par l’Italie. Un roman d’aventure servi par une écriture d’une rare élégance, dans la ligne des précédents romans de l’auteur.
L’ordre du jour (Éric Vuillard, Actes Sud). “Les catastrophes s’annoncent à petits pas” écrit l’auteur de ce récit. Il raconte les coulisses d’une tragédie, la guerre menée en Europe par les nazis. Tout commence dans des salons ou salles de réunion. Les propos sont brutaux, parfois cachés sous le vernis de bonnes manières. On connaît le “style Vuillard”, et on le retrouve, comme toujours en adéquation avec son objet et avec une vision du monde, perçu sous d’autres angles que ceux trop connus.
Une Odyssée, un père, un fils, une épopée (Daniel Mendelsohn, Flammarion). L’auteur et narrateur de ce récit est professeur de littérature classique et anime un séminaire sur l’Odyssée. Il décrypte l’œuvre avec ses étudiants. Parmi eux, un homme de 81 ans, venu pour le semestre : son père. Jay Mendelsohn éprouve de sérieuses réserves quant au héros et au livre. Le dialogue entre père et ? ls, le voyage sur les traces d’Ulysse qui suit ce séminaire sont les moments forts d’un récit qui amuse et émeut, superbe portrait d’un vieil homme, et analyse passionnante d’une œuvre qui ne vieillit jamais.
Une mère (Stéphane Audeguy, Le Seuil). Sabine Audeguy est décédée en juillet 16. Son ? ls lui consacre une élégie, texte relatant sa vie plutôt que sa mort. À travers l’histoire de cette femme, ce sont les femmes qui prennent leur élan, trouvent la liberté que l’auteur raconte. Il le fait en démontant les mécanismes sociaux et culturels qui rendent la tâche difficile et évoque les rencontres qui font d’une vie apparemment terne et banale, une existence réussie.
Cela mérite le détour
Made in China (Jean-Philippe Toussaint, Minuit). L’auteur dresse le portrait de son éditeur chinois, devenu au ? l des ans et des séjours, son ami. Chen Tong est un artiste autant que l’éditeur de Beckett et Robbe-Grillet. Il sera aussi l’organisateur, voire le producteur des courts métrages que l’auteur tourne en Chine, à partir de Fuir, Faire l’amour ou Nue. Le récit de ces tournages donne au récit sa dimension romanesque et l’art du détail incongru, de la digression ou du portrait transforme le réel en fiction.
La chambre des époux (Éric Reinhardt, Gallimard). Éric Reinhardt et son épouse apprennent que cette dernière est atteinte d’un cancer. Dès lors s’engage une double course contre la montre, qui est aussi un pari : il terminera l’écriture de Cendrillon tandis qu’elle combattra la maladie et lira le roman achevé. Les soins s’achèvent, le roman paraît et connaît le succès. Entretemps, l’auteur rencontre Marie. De cette histoire réelle naît un projet de roman qui raconte l’histoire d’un artiste confronté au cancer de son épouse, et qui rencontre une certaine Marie.
Nous n’avons pas encore lu mais nous aimerions lire
Les fils conducteurs (Guillaume Poix, Verticales). Le cénotaphe de Newton (Dominique Pagnier, Gallimard). La disparition de Josef Mengele (Olivier Guez, Grasset). Sciences de la vie (Joy Sorman, Le Seuil). La rivière (Esther Kinsky, Gallimard).