Dans le segment du prêt-à-porter, c’est la fast fashion qui est aujourd’hui la norme. Chez Primark, H&M, Zara… le principe est simple : offrir toujours plus et aller toujours plus vite et ce au prix d’une obsolescence rapide. Il faut donc “tenir la cadence” et proposer plusieurs nouvelles collections par mois, très accessibles financièrement, ce qui rend le consommateur accro à la nouveauté. Même les marques de luxe ont dû accélérer le rythme de leurs collections à cause de la fast fashion.
Cela conduit à une déconnexion avec la vraie valeur du produit et une profonde modification des habitudes des consommateurs qui préfèrent renouveler régulièrement leur vestiaire plutôt que d’acheter (plus cher) de la qualité, attirés qu’ils sont par un coût unitaire moins important. C’est encore pire au moment des soldes où des milliers d’achats sont faits pour la simple raison que “c’est pas cher”, sans même se demander si le produit est nécessaire ou si sa qualité est intéressante.
Mais ce prix, qui est donc une notion centrale de la fast fashion, quel est-il ? Il n’est pas seulement la somme du coût de fabrication et d’une marge. En effet, la marque doit prendre en compte des facteurs multiples pour déterminer le plancher et le plafond acceptables pour le consommateur. Parce qu’au moment d’un achat, nous nous demandons à peu près tous si le vêtement est trop cher et si, pour le prix indiqué, il va durer. Les réponses à ces questions déterminent une zone avec un prix minimum (en-dessous duquel le manque de qualité est manifeste à nos yeux) et un prix maximum (au-delà duquel nous avons l’impression de nous faire avoir). C’est dans cette zone qu’on trouve le “prix psychologique”, celui que nous serons prêts à dépenser.
Ensuite, il faut observer la cohérence de la gamme dans son ensemble. Si un pantalon coûte moins à produire qu’une chemise, il ne doit pas pour autant être positionné comme moins cher. Par souci de cohérence, la marque va donc augmenter artificiellement le prix de certains produits pour ne pas l’afficher comme trop “bon marché”. De plus, il faut qu’il y ait également une cohésion d’ensemble de la gamme. Les marques veillent ainsi à ce que l’écart entre le prix des produits les moins chers (accessoires, sous-vêtements, tee-shirts…) et celui des produits intermédiaires (pantalons, chemises…) ne soit pas trop important.
Tout cela repose sur le fait que les consommateurs considèrent que le prix est un élément d’information sur le niveau de qualité selon l’adage inconscient bien connu “si c’est cher, c’est que c’est de meilleur qualité…”. Ce n’est pourtant pas toujours le cas, notamment dans le luxe où un sac peut être vendu plusieurs milliers d’euros alors que son coût de fabrication total ne dépasse pas la centaine d’euros ; d’où des marges phénoménales, qui ne semblent toutefois pas dissuader les acheteurs. L’image véhiculée par la marque et la rareté (savamment entretenue) du produit en sont les deux principales raisons.
Notons qu’à l’inverse, pour un pantalon à 30 euros, il faut s’attendre à en avoir pour son argent, c’est à dire : une matière bon marché et une coupe et des finitions peu travaillées… Les prix bas attirent de nombreux consommateurs. Outre la moindre qualité, quels sont les éléments d’appréciation à prendre en compte face à de tels prix, portés notamment par la tendance de la fast fashion ? Il n’y a là aucun miracle. Si les prix sont bas c’est que les coûts sont bas. Mais c’est aussi que certains coûts, qu’on pourrait qualifier d’induits, ne sont pas pris en compte. Ainsi, le développement d’usines à bas coûts de fabrication, dans les pays de l’Est et en Asie, a offert aux marques une offre pléthorique de sous-traitants qu’elles mettent en concurrence avec, pour conséquences bien connues, des normes de sécurité plus que discutables (cf. les nombreux accidents), des conditions de travail loin de nos standards occidentaux…
En outre, avec plus de 80 milliards de nouveaux vêtements par an (400 % de plus qu’il y a 20 ans) et pour suivre la demande actuelle, les idées ne manquent pas pour doper la production de matières premières : OGM, engrais, pesticides… avec les conséquences environnementales et sanitaires qu’on imagine ; même s’il est vrai que des actions sont engagées pour recycler les vêtements, abaisser l’utilisation de produits chimiques, diminuer la demande en matière première…
Le dernier élément d’appréciation d’un prix bas est que la faible qualité du produit peut engendrer des conséquences directes pour le consommateur. Une chaussure dont la semelle intérieure est composée de carton (au lieu de véritables éléments de support) va créer des problèmes de dos, un tissu bas de gamme va créer des irritations…
En conclusion, nos conseils sont de porter une attention particulière à la qualité et de ne pas s’attendre à des miracles (en général pas cher = faible qualité), de garder en tête que nous sommes acteurs de notre consommation et que cette dernière a des conséquences environnementales et sociales et que nous pouvons ré-apprendre à entretenir nos vêtements pour les faire durer et limiter une forme de surconsommation. Il faut trouver le bon équilibre entre une légitime attirance pour la nouveauté et une obsolescence entretenue. Nous avons la possibilité de modifier notre structure de consommation en adoptant un concept qui a le vent en poupe, “less is more”. Il suffit d’acheter moins mais mieux : des matières plus écologiques, des achats d’occasions et des vêtements intemporels.
Rémi Staessens, spécialiste mode et textile, culture&sens 2016