Il est difficile de voir un match de football en différé. Si on connaît le résultat, on perd ce qui en fait le sel : la tension, le suspens, l’attente. En revanche, on revoit avec plaisir une action de jeu ou un but : le football a ses beaux gestes, sa dimension esthétique. Il a ses instants de légende, ses figures, ses lieux, son histoire, qui fait écho à l’Histoire.
Ce qui rend le football magique, ce qui le fait entrer dans la légende, ce sont ses grands joueurs qui illuminent des enfances, ses stades que les écrivains fréquentent souvent, ses derbys ou classico et son langage.
D’abord un lieu : le stade. C’est l’enceinte magique, à la fois superbe et terrifiante. On connaît la réputation de certains lieux : Giuseppe Meazza à Milan, le “chaudron” de Saint-Etienne, la Bombonera de Boca Junior, à Buenos Aires, le Maracana de Rio, l’Arena de Munich…. Tout jeune footballeur rêve de jouer sur la pelouse de Santiago Bernabeu ou de Old Trafford ; celui qui n’est pas du Real ou de Manchester United craint ces enceintes. Les stades sont remplis de supporteurs, des passionnés voire des fanatiques. On laissera de côté les débordements, la haine de l’adversaire pour ne retenir que la dévotion quasi religieuse. La religion du football a ses hymnes, ses chants, ses épreuves, ses sacrifices et ses communions intenses. On chante le Cant del Barça au Camp Nou, on ne peut rester indifférent au You’ll never walk alone qui résonne à Anfield Road, quand entrent les Reds de Liverpool. Et puis il y a le silence de cathédrale qui peut soudain régner, quand l’équipe perd. Ainsi ce 24 juin 1954 au Maracana de Rio, quand l’Uruguay bat le Brésil, grand favori dans son stade.
Le stade connaît sa plus grande ferveur au moment du classico qui est l’affrontement entre deux adversaires héréditaires. Parmi les plus fameux : Barça – Real, Manchester – Liverpool, Juventus Turin – AS Rome, PSG – OM, Benfica – FC Porto. C’est l’opposition entre deux villes, entre deux régions, entre le Nord et le Sud… C’est souvent une opposition politique et deux pans d’Histoire qui s’affrontent, notamment dans les pays latins. Le classico atteint une dimension supplémentaire quand il oppose deux clubs d’une même ville ou d’une même région, il devient alors “superclasico” ou derby, comme River – Boca à Buenos Aires ou encore Arsenal – Tottenham à Londres. Inter – Milan oppose la région lombarde à sa capitale alors que Saint Étienne – Lyon oppose la ville ouvrière à la ville bourgeoise. On est d’un club, pour toujours. Et ces clubs ont leurs supporteurs dans le monde entier.
“Més que un club” : telle est la devise du Barça depuis quarante ans. Plus qu’un club, c’est vrai de cette équipe-là et de beaucoup d’autres. Un passé, un palmarès, des noms, des matchs de référence. C’est ce qui fait un club. Des noms de joueurs, d’abord. Ceux qui sont attachés à un seul club, comme Totti pour la Roma, Giggs pour Manchester United, Gerrard pour Liverpool ou Paolo Maldini pour le Milan. Ils incarnent l’équipe et leur fidélité est une valeur devenue très rare, dans un monde qui valorise l’argent.
Certains joueurs sont aussi importants pour la légende qui les entoure. Ils sont exemplaires… par leur singularité. Un footballeur est capable de gestes d’exception, dans le meilleur et parfois le pire sens du terme. Maradona, auteur d’un but marqué de la main, est vénéré comme un saint à Naples. Zidane, qui a reçu quelques cartons rouges, dont un resté fameux est l’emblème du Real depuis qu’il a joué parmi les Galactiques.
Le langage, enfin, contribue à la magie. Surnommer c’est faire entrer dans la légende et le football n’est pas avare en la matière. Du “Magnifico” Ronaldo, au “Kaiser” Beckenbauer, du “King” Cantona à “la Pulga” Messi, jusqu’au “CR7” qui résume Cristiano Ronaldo. Ce sport populaire est affaire de langage jusque dans les gestes techniques.
De nombreux noms propres de footballeur en désignent d’ailleurs. Une Arconada, une Higuita, une Madjer comme une Panenka sont de l’ordre de la bourde ou de l’acrobatie. Des mots espagnols, anglais ou italiens sont connus d’enfants de dix ans, ou presque : le toque argentin, le tacle du défenseur, le catenaccio longtemps prôné par la Squadra Azzura appartiennent au vocabulaire du “footeux”. Et on n’oubliera pas la façon dont sur les ondes ou à la télévision on commente ce sport. Des bourdes d’un Thierry Roland (souvent calculées) aux analyses savantes d’un Arsène Wenger, en passant par la faconde d’un Eugène Saccomano et aux envolées des commentateurs latino-américains ou espagnols, le match se dit, se chante sur tous les tons, tous les rythmes. Le football est un art de la parole, du commentaire, du débat et de la polémique. Chacun a son avis sur une sélection et on en viendrait aisément aux mains. Comme en politique. À ceci près que l’un est léger l’autre pas. Comme le disait Maradona à un journaliste trop envahissant : “Occupe-toi de politique internationale, le football est une chose trop sérieuse.”