Le 5 août 2016 s’ouvriront les Jeux Olympiques à Rio de Janeiro. Qu’imagine-t-on lorsqu’on pense à cette ville ? Les plages d’Ipanema et de Leblon, celle de Copacabana et ses trottoirs en céramique noire et blanche signés Oscar Niemeyer, les surfeurs traversant la rue, l’hôtel où descendirent Sartre et Beauvoir dans les années 1960… La face riante de cette cidade maravilhosa, cette ville merveilleuse, comme le désigne l’hymne officiel.
On pense aussi aux morros, ces petites collines sur lesquelles (pour certaines d’entre elles) sont perchées les favelas. Le terme de favela renvoie en fait à plusieurs types de quartiers pauvres, situés à différents coins de la ville et de l’Etat de Rio. 1035 favelas ont été recensées en 2012 : elles rassembleraient 1 443 773 personnes, soit 23% de la population carioca ! Dans le langage courant favela est aujourd’hui synonyme d’espaces urbains insalubres, violents, pauvres, illégaux, marginaux par rapport à “la vraie ville” et voués à être réformés ou à disparaître. Et pourtant, elles ont aussi de plus en plus une réputation presque glamour avec les visites touristiques qui se multiplient ou les stars qui s’y installent (comme Vincent Cassel par exemple).
Historiquement, le terme est apparu après la Guerre des Canudos (1896-1897) qui opposait le gouvernement de l’Etat de Bahia et celui du Brésil à une communauté du Nordeste composée pour beaucoup d’africains et d’anciens esclaves affranchis. A la fin de ce conflit, les soldats qui avaient combattu rentrèrent à Rio, où l’Etat ne leur donna pas la solde escomptée : ils s’installèrent sur la colline de Providência, où ils construisirent des petites maisons. Les migrations (exode rural) des populations pauvres vers la capitale, puis l’attirance provoquée par le boom économique et l’urbanisation dans les années 1960, ont pris la suite. Dès le début du XX°, le mot de favela est devenu synonyme de quartier pauvre voire de bidonville. Les années 1980 virent, avec l’expansion du narcotrafic, la prolifération des groupes criminels armés et l’augmentation des violences urbaines. Dans les années 1990, les images des violents affrontements armés au sein des favelas firent le tour de monde.
Une partie de l’opinion publique brésilienne et la presse ont contribué à créer une mythologie urbaine autour des favelas, dans laquelle la pauvreté est un vice et les favelados des quasi parasites marginaux. Si elles sont toutes un certain nombre de problèmes en commun (absence de reconnaissance légale et de propriété foncière depuis plus d’un siècle, faiblesse voire absence des infrastructures et des transports…), les favelas sont en fait très diverses et au fil du temps sont devenues des quartiers à part entière. D’ailleurs les habitants ne sont pas tous des ladroes (criminels) ou des malandros (voyous).
Ce sont essentiellement des travailleurs, pour beaucoup des employés de maison sur “l’asphalte”, comme les habitants de la favela appellent le monde d’en bas, celui d’une population plus aisée et plus blanche. De véritables communautés coexistent, au sein desquelles certains membres ont une fonction dont ils tirent des revenus et un statut de quasi classe moyenne (comme les gérants des compteurs d’énergie ou les birosqueiros, les tenanciers des petites épiceries, épicentres des favelas). On y trouve aussi des politiciens, plus ou moins corrompus ou clientélistes, ainsi que des policiers, notamment issus de milices de la dictature (1964-1985). On y trouve enfin également beaucoup de musiciens.
Sans entrer dans l’une des controverses préférées des brésiliens sur “les véritables origines du samba”, il est vrai qu’une des versions de la musique populaire la plus connue du Brésil (o samba de roda) s’est certainement développée en partie dans les favelas. Depuis les années 1990, c’est surtout le funk carioca qui se fait connaître. Trépidante et sensuelle, cette musique inédite raconte aussi le quotidien des habitants de la favela. Elle a permis à certains DJs (les funkeiros) de connaitre une fulgurante ascension sociale et une grande renommée. Elle est l’initiatrice d’une nouvelle identité et sociabilité au sein des favelas autour de l’organisation des baile funk.
Les favelas sont des quartiers qui se sont institutionnalisés et qui existent donc bel et bien en dépit de leur négation par une partie de l’opinion et des politiques officielles. En effet, jusqu’aux années 1990, la quasi-totalité des actions publiques peuvent être analysées comme, selon certains chercheurs, une “politique d’éradication des favelas” (relogement ou réhabilitation visant à contenir l’avancée politique des forces communistes et de gauche dans ces quartiers ou à maintenir une relative paix sociale). La politique de pacification en 2008 rompt avec cette logique historique : l’installation d’Unités de Police de Pacification (UPP) dans 200 favelas vise à les sécuriser pour mieux les intégrer à la ville ce qui laisse entrevoir la possibilité d’une intégration économique, d’un raccordement aux réseaux d’infrastructure “normaux”… Mais le processus d’inclusion a un effet pervers : l’immobilier augmente et les populations “d’origine” ont du mal à s’y maintenir.