De nombreux sondages nous indiquent régulièrement que les Français sont les champions du pessimisme. Par exemple, la France se classe systématiquement parmi les pays les plus négatifs dans le Global barometer of hope and happiness réalisé dans 54 pays par BVA-Gallup International, et ce, devant des pays en guerre tels que l’Irak ou l’Afghanistan. En effet, seuls 18 % des Français interrogés dans le cadre de cette étude pensaient que l’année 2014 serait meilleure que 2013 contre… 50 % en moyenne dans le monde. De tels chiffres invitent à s’interroger sur l’existence d’une éventuelle prédisposition culturelle des Français au mal-être.
La réponse à cette question suppose de s’arrêter quelques instants sur la mesure de son corolaire, le bien-être. Depuis quelques années, un nouveau courant s’est développé en économie, l’économie du bien-être qui se penche sur la définition et la mesure du bien-être social. Différents types d’indicateurs ont été proposés à cette fin. Le plus connu d’entre eux est le Better Life Index de l’OCDE. En 2013, la France se situait en 19ème rang de cet indicateur, c’est-à-dire au centre de l’échantillon composé de 34 pays. Ce résultat n’a rien de contradictoire avec les sondages précédemment évoqués. En effet, le Better Life Index est composé de critères objectifs de performance sociale (allocation des dépenses dans le budget, résultats de l’enquête PISA mesurant les performances du système éducatif…) et de critères subjectifs (tels que le pourcentage d’individus se déclarant satisfaits de leur vie ou de la qualité de l’eau du robinet). Or, les premiers présentent en France des résultats tout à fait satisfaisants. Mais, lorsque l’on interroge les Français sur la perception subjective qu’ils ont de leur vie, le bât blesse.
En effet, il y a derrière la question qui nous intéresse l’idée suivant laquelle, malgré des conditions de vie tout à fait satisfaisantes, les Français présenteraient une culture du pessimisme et de la négativité. La vérification de cette proposition suppose de comparer les éléments objectifs aux éléments subjectifs. Les résultats indiquent clairement que les Français ont un sentiment de bien-être subjectif plus faible que ce que les indicateurs objectifs prévoyaient. Cette culture de la négativité est confirmée par une étude comparant les immigrés de 1ère génération aux Français “natifs”. Les deux groupes partagent des conditions de vie similaires, puisqu’ils vivent en France, mais ont une culture différente dans la mesure où les immigrés de 1ère génération sont encore très marqués par la culture de leur pays d’origine. Ce travail met clairement en évidence une “mentalité” négative propre aux Français “natifs”.
Plusieurs explications peuvent être avancées pour comprendre cette tendance bien française à la morosité. Certains se sont demandé s’il n’y avait pas un biais linguistique derrière ces résultats. En effet, le concept de bien-être ne recouvre peut-être pas la même réalité dans tous les pays. S’il est très difficile d’être définitif sur ce point, des études réalisées auprès de personnes bilingues montrent que qu’elles répondent de la même manière aux questions sur le bien-être, quelle que soit la langue du sondage. De plus, dans tous les pays, les individus retiennent globalement les mêmes éléments pour définir le bien-être.
Une autre piste évoquée est celle de la comparaison entre pays. D’une part, l’augmentation des revenus des autres pourrait rendre les habitants d’un pays voisin plus heureux, leur suggérant qu’ils peuvent également devenir plus riches (on parle alors d’effet d’information). Cette comparaison peut au contraire, réduire le bien-être perçu des habitants des pays voisins, par jalousie (il s’agit alors de l’effet de comparaison). Dans cette perspective, les performances économiques comparées de la France et de l’Allemagne peuvent contribuer à notre pessimisme. Toutefois, cette explication ne permet pas de saisir une spécificité française dans la mesure où, dans tous les pays européens qui se sentent menacés ou en déclin, cet effet de comparaison négative domine l’effet d’information.
Le biais de désirabilité sociale pourrait fournir une explication alternative à la négativité des Français. Ce biais décrit la tendance des individus à donner des réponses conformes aux attentes de la société. Or, on peut supposer qu’il est plus important dans la société américaine de paraitre heureux que dans la société française. Autrement dit, le pessimisme pourrait être une posture valorisée socialement en France, une sorte de snobisme à la française.
Cette culture du négatif pourrait également être renforcée par un biais évaluatif des Français. Au-delà de la simple mesure du bien-être, des chercheurs américains ont fait évaluer plusieurs milliers d’images par un échantillon représentatif de personnes. Les images en question balaient la totalité des états psychologiques que peuvent ressentir les êtres humains allant du “très négatif” au “très positif”. Nous avons soumis une partie de ces images à un échantillon de répondants français. En moyenne, ils se sont avérés plus négatifs que les Américains. Les français ont donc globalement tendance à réagir plus fortement aux informations négatives, autrement dit, ils présentent un biais général de négativité.