Au départ, il n’y avait pas de ville sur ce haut plateau au centre du Brésil, mais seulement le « cerrado », la savane, qui couvrait tout. Dès les années 1920, naît le projet d’y installer une nouvelle capitale pour le Brésil, capitale administrative qui rééquilibrerait le peuplement vers le centre du pays. Le projet est réalisé par le président Juselino Kubitschek qui lance la construction de Brasilia en 1956. Il veut une capitale construite sur un plan idéal et qu’elle reflète le rêve d’un État bien gouverné. Pour réaliser ce grand projet, il fait appel à un tandem qu’il connaît bien et avec qui il a souvent travaillé quand il était maire de Belo Horizonte : Lucio Costa, urbaniste et Oscar Niemeyer, architecte. Le premier va principalement concevoir les plans de la ville, le second va dessiner la plupart de ses édifices monumentaux.
Le plan dessiné par Costa repose sur le principe d’idéal urbain qui privilégie alors la séparation des fonctions (comme chez Le Corbusier), de vastes espaces naturels et la desserte de l’ensemble par de grandes voies de circulation. Le plan originel était symbolique : une forme de croix, pas celle du Christ mais celle que l’on dessine sur une carte géographique ou sur le sol pour désigner un endroit, dire « c’est là ». Par la suite, cette croix a été modifiée : deux de ses bras ont été incurvés de sorte que l’ensemble a finalement pris la forme d’un oiseau ou d’un avion. Les ailes regroupent les quartiers résidentiels, l’axe principal de circulation dessine le corps, et la tête est formée par les principaux bâtiments administratifs. Oscar Niemeyer a déjà une grande expérience quand il les dessine puisqu’il a remporté quelques années avant le concours pour bâtir le siège des Nations Unies, à New York, avec Le Corbusier. À cinquante ans, il est déjà un architecte à la réputation internationale. Il construit donc pour Brasilia la résidence du chef de l’État, dite Palais d’Alvorada (1957), la Place des Trois Pouvoirs avec le célèbre Congrès National et sa blanche coupole, (1958), le Palais du Planalto (1958), le Tribunal de la Cour Suprême, les sièges des ministères, le théâtre national, l’aéroport (1965) et la Cathédrale.
La légende prétend qu’il aura fallu 1000 jours pour faire sortir Brasilia de terre. Inaugurée en 1960, la nouvelle capitale suscite alors un intérêt dans le monde entier. Elle est incontestablement l’une des plus belles réalisations d’un des plus merveilleux architectes du siècle, militant communiste de toujours et lauréat du Pritzker Prize 1988, qui, bien que né en 1907, a toujours, de son propre aveu, l’énergie « d’un jeune homme de trente ans ».
Oscar Niemeyer expliquait à propos de Brasilia : « Ce n’est pas l’angle droit qui m’attire ni la ligne droite, dure, inflexible, inventée par l’homme. Seule m’attire la courbe libre et sensuelle, la courbe que je rencontre dans les montagnes de mon pays, dans le cours sinueux de ses rivières, dans les vagues de la mer, dans le corps de la femme préférée. De courbes est fait l’univers, l’univers courbe d’Einstein. »
Très vite après son inauguration, Brasilia a commencée à être peu à peu modifiée en dépit du programme dessiné par Costa et Niemeyer : des banlieues sont apparues alors que certains quartiers sont sous-peuplés, des espaces qui devaient rester vides ont été construits, des axes routiers modifiés, etc. Brasilia est aujourd’hui une grande ville un peu triste et les bâtiments de Niemeyer, toujours aussi éblouissants d’audace, auraient bien besoin d’un petit lifting. « La visite de Brasilia peut vous inspirer des réactions diverses: beau, laid, bon, mauvais… mais elle ne peut vous laisser indifférent. L’architecture, pour moi, c’est cela » aime à dire Oscar Niemeyer, lucide et ironique. Et Brasilia, classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987 est sans aucun doute l’une des capitales mondiales de l’urbanisme et de l’architecture, la réalisation aboutie d’un projet où se rencontraient l’utopie et le désir absolu d’être moderne. Elle reste aujourd’hui comme l’un des meilleurs témoins de la façon dont on rêvait la ville dans les années 1950, comme en témoignent aussi Le Havre, reconstruit par Perret après la guerre ou Chandigarh, construite en Inde par Le Corbusier à partir de 1951. Son aspect futuriste peut faire sourire ou décevoir, mais les villes nouvelles construites en France, par exemple, dans les années 1960-70 ont-elles mieux vieilli ? Brasilia reste aujourd’hui une leçon d’urbanisme et d’architecture et l’une des plus belles réalisations d’une époque qui croyait à la ville idéale.