Héritée des manuels scolaires d’histoire de la IIIe République, l’expression “Guerre de Cent ans” occupe une place étrange dans la mémoire collective et la culture générale historique en France. Connaît-on pour autant l’importance cruciale de cette épopée qui scelle, à la fi n du Moyen Âge, le destin de la France et de l’Angleterre ? En arrière-plan d’un très long conflit diplomatique et militaire qui a pris sans cesse les allures d’un duel franco-anglais, se cache le double roman des origines de la nation française et de la nation anglaise, sans lequel Jeanne d’Arc et sa brève aventure légendaire, entre 1429 et 1431, n’auraient jamais existé.
De quoi s’agit-il au départ ? La guerre de Cent ans débute par un défi féodal entre deux jeunes princes rivaux et cousins – Édouard III Plantagenêt et Philippe VI de Valois – qui revendiquent chacun le trône de France. Le royaume bâti au siècle précédent par Philippe Auguste, Saint Louis et Philippe le Bel, est alors le plus riche d’Occident : il compte pas moins de 15 millions d’habitants. L’Angleterre est alors un petit pays de 5 ou 6 millions d’habitants, une maigre puissance politique, dont les sujets sont rebelles à leur souverain. En refusant en 1337 de prêter l’hommage féodal qu’il doit au roi de France en tant que duc d’Aquitaine, Édouard III déclenche un conflit qui ressemble au défi lancé par David à Goliath.
Le profond antagonisme entre ces deux puissances politiques puise en fait ses racines dans la concurrence féodale et fratricide au sein d’une même famille, issue du sang, désormais sacré, du roi Saint Louis mais qui est aussi une sorte d’association mafieuse, se partageant les trônes et les seigneuries à l’échelle de l’Europe, par le biais des mariages et des pactes de sang. Deux modèles politiques et nationaux se sont en fait édifiés à partir d’une base géographique et culturelle commune. L’Angleterre s’y invente comme puissance maritime, et la France achève de devenir une puissance continentale. La guerre endémique entre cousins se déploie sur fond d’épidémies de peste, de crise économique et de déstabilisation du système seigneurial.
Affrontement décisif pour la construction de l’Europe, cette guerre bien réelle constitue cependant, une véritable épopée historique, qui prépare l’entrée des États et des nations dans la modernité politique et économique. La Guerre de Cent ans est comme le point d’aboutissement d’un Moyen Âge chevaleresque et courtois, mêlant sans cesse le rêve et la réalité. Rêvant de croisades et d’exploits mythiques, tous les protagonistes sont plongés dans une perception des évènements qui se dédouble sans cesse. Si, au départ, les acteurs du conflit n’avaient pas été animés par le désir d’être les successeurs de héros aussi éternels qu’Hector ou Arthur, cette guerre, qui commence par une intrigue à la fois familiale et nationale et qui aboutit à un premier conflit “moderne”, n’aurait sans doute jamais duré cent ans.
Pour s’en tenir aux dates officielles, la Guerre de Cent ans s’est déroulée de 1337 à 1453, c’est-à-dire du lendemain des règnes tragiques des “Rois maudits” jusqu’aux premières lueurs de la “Renaissance”. On peut grossièrement la diviser en deux grandes périodes d’affrontements.
Des années 1330 aux années 1380, une première grande phase voit la France perdre sur tous les fronts, jusqu’à devoir concéder la moitié de son territoire lors du traité de Brétigny en 1360, avant de relever la tête sous le règne de Charles V (1364-1380) et la reconquête fulgurante menée par son connétable Bertrand Du Guesclin en quelques années. Après plus deux décennies d’apaisement, symbolisées par un nouveau mariage entre la sœur de Charles VI, Isabelle de France, et le roi d’Angleterre Richard II, les deux nations vont cependant reprendre le chemin de la guerre.
Cette fois c’est la discorde civile interne aux deux royaumes, suscitée par la rivalité des princes issus des familles royales et la débilité du roi de France, qui sombre après 1393 dans la folie, qui vont être à l’origine de la reprise des hostilités. En France comme en Angleterre la vendetta provoquée par deux assassinats politiques, celui du roi Richard II lui-même en 1399 et celui du frère du roi fou Louis d’Orléans en 1407, est à l’origine d’une guerre civile larvée. Le coup d’État de Henri IV de Lancastre réussit finalement à introduire un nouvel ordre politique en Angleterre alors que la France est déchirée par le conflit entre les partis Armagnacs et Bourguignons qui se disputent la faveur du roi fou. Après 1410, chacun des deux partis va successivement tenter de faire alliance avec l’Angleterre. Le jeu est dangereux et à partir de 1415 et la retentissante défaite d’Azincourt, le roi anglais Henri V exploite ce conflit pour effectuer une très rapide conquête de la Normandie. Le dauphin, futur Charles VII, proche des Armagnacs, commet la grave erreur de venger la mort de son oncle d’Orléans en assassinant le duc de Bourgogne Jean sans Peur en 1419. Le rapport de force bascule définitivement : les Bourguignons s’allient aux Anglais qui obtiennent la réunion sur la tête d’Henri V des couronnes de France et d’Angleterre (traité de Troyes, 1420). Renégat et déshérité, Charles se réfugie dans le centre de la France, alors que les Anglais s’installent à Paris. La France va-t-elle devenir anglaise ? S’ouvre alors la séquence qui va conduire à la geste légendaire de Jeanne d’Arc, le sacre de Charles VII à Reims, la reconquête progressive du royaume jusqu’à la reprise de Paris en 1436. Tout l’arsenal fiscal et militaire de l’État moderne se met en place et le roi français pousse l’avantage jusqu’à la conquête de l’Aquitaine qui n’avait finalement jamais été sous domination française. Au lendemain de la bataille de Castillon de 1453, c’est en définitive la France moderne qui voit le jour, de l’Atlantique à la Lorraine et de la Manche à la Méditerranée.