A priori, la gastronomie semble plutôt s’inscrire du côté de la tradition, du terroir et du patrimoine, c’est-à-dire à l’opposé de la mode, associée au flux des nouveautés, à la volatilité des goûts, à la globalisation des consommations et à l’essor des marques. Pourtant, depuis quelques années, les deux univers se sont progressivement rapprochés, dans leurs dynamiques de fonctionnement, leurs imaginaires associés, comme dans les valeurs qu’ils véhiculent.
Ainsi, le chef est désormais en train de rejoindre le couturier au panthéon des stars : “Après la gloire des créateurs, des tops-models, … ce sont les cuisiniers qu’on encense. La cuisine portée aux nues va-t-elle être la religion du XXIe siècle ? Se nourrira-ton un jour selon les codes couleurs établis par un gourou des plaisirs gustatifs ?” (Martine Camillieri). Désormais, les chefs sont à la mode. Littéralement, d’abord, puisqu’on est passé de l’image du vieux chef bedonnant, un peu rustre, en veste et toque blanches, à une nouvelle génération de cuisiniers version fashion victim, cheveux au vent, tablier noir cintré et barbe de trois jours. Les cuisiniers sont également à la mode au sens où les médias s’en sont emparés, pour en faire un sujet porteur, jusqu’à l’apparition du “phénomène du chef”. Depuis quelques années, les cuisiniers ont commencé à devenir des stars médiatiques au même titre que les couturiers, s’exhibant au bras des personnalités les plus en vogue. Quand ils ne sont pas le produit direct de la télévision, comme Cyril Lignac, ils sortent volontiers de leurs cuisines pour participer à des émissions, se prêter à des jeux ou à des interviews… Le phénomène est inédit.
Par delà le côté people qui les réunit, c’est la notion de créateur qui est en jeu, et la mythologie de l’artiste qu’elle véhicule. Le rapprochement entre couturier et cuisinier s’organise en effet autour de certaines notions empruntées à l’art. Jamais on n’aura autant entendu parler d’art culinaire que depuis quelques années. La signature a même fait récemment son apparition dans l’univers culinaire, avec par exemple les ‘plats signature’ mis en avant sur la carte de certains grands restaurants, prolongeant la comparaison avec l’artiste, à l’instar de la griffe du couturier. Or, cette signature, dans le domaine de la gastronomie comme de la mode, fonctionne sur le principe de la marque.
Ainsi, le nom de certains pâtissiers comme Pierre Hermé est devenu une signature, une griffe, mais aussi une marque, dotée d’une valeur spécifique qui fait vendre, qui s’offre les services du marketing et qui assume désormais sa place sur le marché de façon plus agressive. Il devient alors possible d’exploiter cette valeur en capitalisant sur la valeur de cette signature : ainsi de Joël Robuchon apposant son nom sur des gammes de plats cuisinés, comme de Christian Dior développant un système de licences sur différents produits dérivés de l’univers du luxe. Le même Dior aimait d’ailleurs à déclarer : “Vous savez tout ce qui concerne la bouffe m’intéresse ! Je connais beaucoup de recettes et, un jour, on ne sait jamais, je pourrais peut-être en avoir besoin. Qui sait ? Du jambon Dior, du rosbif Dior ?”.