Marcel Duchamp (Blainville 1887 – Neuilly sur Seine 1968), artiste français naturalisé américain, naît à la célébrité sous l’étoile du scandale. En 1913, à l’Armory show (l’exposition internationale d’art moderne), il provoque un véritable séisme au sein du monde de l’art new-yorkais en présentant son Nu descendant un escalier. Ce premier nu “cérébral” de l’histoire de la peinture – puisque sa nudité n’existe que dans le titre – le fait immédiatement connaître en Amérique. Cette image scandaleuse est celle qu’il a gardée aux yeux de la postérité. Car nos esprits, au nom de Duchamp, se figurent aussitôt un urinoir ou encore la Joconde affublée de moustaches et d’une barbiche. Duchamp traversa le cubisme, le futurisme, le mouvement Dada, et le surréalisme, mais jamais il ne s’intégra véritablement à aucun de ces courants. Il est également connu comme l’inventeur des ready-made, objets “tout faits”, choisis pour leur neutralité esthétique : Roue de bicyclette, Porte bouteille, Fontaine (l’urinoir)… Duchamp cultive tout au long de sa vie une réflexion sur la nature de l’art, ouvrant la voie à l’art conceptuel. L’oeuvre qui l’occupa le plus, aujourd’hui conservée au musée de Philadelphie, est la Mariée mise à nu par ses célibataires, même ou Grand verre, réalisée sur panneau de verre.
Du scandale – érigé en véritable stratégie par celui qu’on nommait “l’Anartiste” – est né le mythe. De son vivant déjà, Duchamp avait l’aura d’une légende. Mais quel être véritable se cache derrière cette icône silencieuse, qui fut une figure tutélaire de l’art du XXe siècle ?
Un homme aussi énigmatique, pourvu d’une personnalité aussi complexe qu’ambiguë, ne se laisse enfermer dans aucune catégorie préétablie. Autant Duchamp peut être généreux, fidèle en amitié, épris de liberté et capable d’intransigeance sur son art, autant il s’avère également froid, rusé, un peu parasite, voire calculateur. Ainsi, celui qui à vingt-cinq ans refuse d’avoir à vivre de son art, et abandonne, dix ans après, sa carrière artistique par crainte de la répétition, accepte néanmoins de pratiquer un temps le métier de courtier en art. Duchamp se contredit (“je me suis forcé à me contredire pour éviter de me conformer à mon propre goût”), mais qu’importe la contradiction, puisque, selon ses propres mots, “le non-sens a le droit de vivre”, et à ce dernier notre lecteur invétéré de Nietzsche restera toujours fidèle.